Le HAG a plusieurs petites antennes dans les zones rurales aux
alentours de Gimbie. Mardi dernier, Alex et Tyler nous ont invités à
aller à une de ces cliniques rurales, à Green Lake.
On est partis vers 9h le mardi matin de Gimbie avec le 4x4 de
l'hôpital. Le chauffeur devait nous déposer à Green Lake puis
continuer sa route vers Addis avec Dr Peter et sa femme Ester (le
directeur médical de l'hôpital).
L'aller s'est donc bien passé, on s'est arrêtés pendant deux heures à
Nekemte parce que les garçons avaient un meeting avec des responsables
gouvernementaux, on en a profité pour manger un petit déj' super bon
appelé « fatira », en gros, c'est deux espèces de crêpes épaisses avec
une très fine omelette au milieu et plein de miel sur le dessus qui
dégouline. C'est super bon.
La route entre Gimbie et Nekemte est goudronnée, et ça prend environ
1h en voiture. Entre Nekemte et Bako, la route est goudronnée en
pointillé, le reste est en terre battue. Très poussiéreux. Entre Bako
et Green Lake, la route est exclusivement en terre battue, et même
jusqu'à récemment, il n'y avait pas de route du tout et il fallait y
aller à cheval !
De Nekemte à Green Lake, on a mis à peut près cinq heures. Le
chauffeur nous a donc déposé là-bas et à continué sa route vers Addis.
Notre groupe était composé de Tessa, moi, Alex, Tyler et Dawat (le
directeur éthiopien des cliniques rurales).
La clinique de Green Lake est au milieu de nulle part, il y a
plusieurs petits villages aux alentours mais c'est difficile de
définir le nombre d'habitants qui bénéficient de cette clinique. La
première bourgade est à trois heures de marche de la clinique.
La clinique elle-même est située dans un bâtiment des 60's qui a l'air
abandonné tant l'accumulation de poussière, de bric-à-bac cassé et
l'état général du bâtiment est affligeant. Pourtant, deux infirmiers,
une laborantine, et une « femme de ménage/caissière », nommés par le
HAG, travaillent là-bas 24h/24, 7 jours/7.
La clinique n'a ni accès à l'eau courante, ni à l'électricité. Malgré
tout ça, le bâtiment a vraiment un potentiel intéressant : il y a une
salle de consultation, un dispensaire/pharmacie, une salle
d'accouchement, un labo et toute une série de cinq ou six pièces qui
devait être le logement de fonction de l'infirmier de garde qui a un
superbe potentiel mais qui est complètement en ruine. Le canapé et le
fauteuil dans la pièce à vivre sont complètement éventré, la gazinière
tombe en lambeau et à l'air de dater autant que la maison elle-même…
Le bâtiment avait accès à l'eau courante avant, il y a donc des
toilettes, une douche, même un bain et des éviers dans toutes les
pièces où un évier est nécessaire. Mais comme l'eau n'y a pas coulé
depuis si longtemps, la crasse accumulée fait oublier la couleur
originale de la porcelaine.
La clinique est située dans un endroit idéal, absolument magnifique,
tout vert. Il faudrait si peu pour rendre le lieu habitable et
agréable. Pour le moment, on plaint les pauvres infirmiers qui sont
coincés là-bas. De plus, gérer une clinique sans eau ni électricité
doit être un sacré challenge, comme on l'a vérifié le soir même.
Après avoir fait un bref état des lieux, on a décidé de sortir
explorer les alentours. Juste à coté de la clinique, il y a une école.
Les cours sont le matin jusqu'à 3h donc on a demandé au garde si on
pouvait visiter les salles de classes et il a accepté avec
enthousiasme. Il y avait 8 salles de classes, sans portes ni fenêtres,
avec des sièges et des tables pour environ 40 élèves dans cinq d'entre
elles. Dans les trois dernières, il n'y avait que des bancs en bois
qui avaient l'air très bancal et dont la plupart étaient couché sur le
sol. Les leçons du jour étaient encore sur les tableaux noirs : des
maths, de l'histoire (en anglais), et… surprise !... de l'informatique
!! Sans ordinateurs, la plupart des élèves n'ayant probablement jamais
vu un ordi de leur vie, la leçon au tableau expliquait comment ouvrir
Word, à quoi sert la route « enter », etc. On se demande encore à quoi
pouvait bien servir ce genre de cours et à quel point la confusion
générale doit régner parmi les élèves quand ils ont cours
d'informatique… Malheureusement, on n'avait pas pensé à prendre notre
appareil photo et on n'a pas eu le temps d'y retourner pour prendre
des photos.
De retour à la clinique, le soleil était près à se coucher et on
commençait à être bien fatigués par la route. On a mangé un « shiro »
(sauce aux lentilles, haricots, tomates, pois chiches, oignons et
pleins de piments) qu'une famille locale avait préparé pour nous avec
la traditionnelle injera (il n'y a bien sûr pas de restaurant à Green
Lake). C'était fort mais bien bon.
Après ça, on a décidé de profiter de l'absence de lumière pour aller
s'allonger sur le terrain de foot de l'école toute proche pour
regarder les étoiles comme jamais on les voit chez nous. C'était un
spectacle grandiose.
On était peut être allongé depuis une demi-heure quand un convoi est
arrivé à la clinique : des hommes avaient transporté un vieil homme
sur une civière faite maison, des femmes suivaient et pleuraient.
L'homme sur la civière puait l'alcool et s'était vraisemblablement
battu. Il avait une entaille dans la tête qui saignait beaucoup et
l'épaule gauche dans un sale état. Les hommes qui l'accompagnaient
l'ont transporté sur la table d'examen dans la salle de consultation.
La table d'examen n'avait pas de housse en plastique et le similicuir
était éventré, le sang était donc directement absorbé par la mousse.
Les deux infirmiers tentaient tant bien que mal d'examiner le patient,
avec pour seule lumière celle des lampes torches que nous tenions en
direction du patient. Fort heureusement pour lui, le patient s'est
vite évanoui et l'infirmier a pu lui raser la tête et suturer
l'entaille qu'il avait dans la tête. La bosse était comparable à un
œuf de canard. Considérant les moyens très restreints dont disposaient
les infirmiers, ils ont fait un beau travail.
Après toute cette excitation, on est allés se coucher ce qui devait
anciennement être la pièce à vivre mais qui était maintenant à
l'abandon total, meublé d'une table, du canapé et du fauteuil éventré
que j'ai mentionné plus tôt et d'un sommier complètement déglingué. On
nous a amené deux matelas en paille et on les a étendus sur sol. Tessa
et moi avons dormi entre Alex et Tyler dans les sacs de couchage que
nous avions amené.
Le lendemain, Tessa et moi avons mis au point deux livres pour
documenter les rendez-vous prénataux de suivi de grossesse et les
accouchements, la documentation jusqu'alors était quasi-inexistante.
Au jour d'aujourd'hui, le nombre d'accouchement est assez limité à la
clinique. Les femmes accouchent généralement chez elles. Même si elles
atteignent la clinique, hormis un infirmier vaguement informé sur les
soins obstétriques, elles n'auront pas accès à grand-chose : ils ne
disposent pas de médicaments pour traiter une hémorragie, une crise
d'éclampsie ni même pour traiter la pré-éclampsie… On peut donc pas
faire grand-chose pour les aider en cas de crise majeure…
On a aussi fait des recommandations pour des choses essentielles dont
la clinique ne dispose pas mais devrait vraiment avoir, comme par
exemple deux kits stériles pour l'accouchement, avec des pinces, des
ciseaux, du fil pour attacher au bout du cordon ombilical, qui
seraient toujours prêts dans l'éventualité qu'une femme enceinte
débarque pour accoucher.
On a aussi suggéré l'ajout d'un lit dans la salle d'accouchement pour
que les femmes puissent se reposer avant de repartir vers où elles
viennent, à plusieurs heures de marche pour certaines.
Malheureusement, on a pas vu de femmes enceintes pendant qu'on était à
la clinique. Les infirmiers sur place étaient sensés nous faire de la
pub car généralement, l'arrivée de « faranjis » a toujours un effet
d'attraction sur la population.
A trois heures et demi, tout était dans l'ordre, les garçons avaient
fini leurs affaires, nous les nôtre. On a donc entamé la longue route
du retour. Premièrement, on a marché pendant trois heures à travers
des plaines vers la ville la plus proche nommée Harato où nous avons
passé la nuit. On a mangé un super repas appelé « tagamino », une
espèce de purée de pois chiches, lentilles et/ou haricots avec
beaucoup d'ail et beaucoup d'épices et de piment.
L'hôtel semblait être le comble du luxe après trois heures de marche
et la nuit qu'on avait passé avant. Les toilettes étaient
indescriptibles tellement elles étaient dégueulasses, mais c'était
vraiment un tout petit détail qui était facile à oublier (un trou dans
le sol avec des planches de bois dessus, et tout les excréments qui
vont avec). On a payé 35birr pour la nuit pour deux, ce qui fait
environ un euro cinquante… On peut pas vraiment se plaindre de
grand-chose pour ce prix là !
Le lendemain, réveil à cinq heures et demi. On a attendu dans la rue
principale qu'un bus passe et veuille bien nous prendre. C'était sans
compter que c'était le week-end de Pâques en Ethiopie (la Pâque
orthodoxe est une semaine après chez nous) et que tout le monde
voulait aller rendre visite à leurs familles… A six heures du mat, la
rue était bondée et le premier bus n'a pas pu nous prendre. On nous a
ensuite dit que le prochain était à cinq heures du soir : moment de
panique, qu'allions nous faire entre six heures du mat et cinq heures
de l'aprèm à Harato, la ville où il n'y a rien à part un hôtel et un
restaurant et beaucoup de gens qui nous fixe tellement fort que ça en
devient intimidant ? Heureusement, à sept heures, un autre bus s'est
pointé, quasiment aussi blindé que le premier mais qui a bien voulu
nous prendre, debout, tout serrés dans l'allée centrale du bus sur la
route en terre battue… Je peux vous dire que c'était une aventure ! Je
pense que notre peau blanche a joué un gros rôle dans le fait que le
bus ait bien voulu nous prendre. L'ironie dans tout ça et que parmi
les passagers qui voyageaient illégalement debout dans le bus, il y
avait deux flics en uniforme!!
Le trajet a duré deux heures entre Harato et Bako. A Bako, on a bu un
petit café et une petite miche de pain (notre petit déj du jour) à la
gare routière et on a pris un autre bus en direction de Nekemte, trois
heures de plus. On a encore eu un exemple d'absurdité des lois et de
la réalité des choses : le reçu pour le prix du bus affichait 26birr
mais tout le monde a payé 50birr parce que c'est ce que le contrôleur
avait demandé et que c'est le « business » !
Arrivés à Nekemte, la gare routière était bondée, pleine de gens
rentrant chez eux pour le week-end de Pâques. C'était la guerre totale
pour monter dans le minibus qui allait nous ramener à Gimbie : on a
failli se séparer en deux groupes. Tyler a réussi à se frayer un
passage dans le bus, puis Tessa a réussi à me pousser à l'intérieur
pendant qu'un autre gars tirait de l'intérieur. A ce moment-là, le bus
était plein : 14 places, 14 personnes, tout était normal. On pensait
qu'Alex et Tessa allaient prendre le prochain bus et qu'on se
rejoindrait à Gimbie. C'était pas idéal mais ça allait le faire.
Hors du bus, l'agitation était toujours à son comble. Dans le bus
aussi d'ailleurs. Le gars qui m'avait tiré à l'intérieur m'a fait
comprendre dans un anglais approximatif qu'on pouvait se serrer et
qu'il y avait donc de la place pour Tessa aussi. Sur ceux, Tessa a
réussi à monter. Puis, le bus commence à partir jusqu'à ce qu'un petit
ado devant nous dise que sa place était à vendre : il s'était faufilé
dans le minibus dès le début et avait réservé sa place pour la
revendre à prix d'or (10birr) à qui voudrait l'acheter. Tout le monde
dans le bus à commencé à crier « Alex, it's for Alex !!». Alex a donc
pu monter avec nous ! Tout est bien qui finit bien !
Arrivée à Gimbie, deux heures plus tard, on était tous à des degrés
plus ou moins important d'hypoglycémie n'ayant rien avalé depuis la
miche de pain du matin à Bako. On s'est donc arrêté chez Jimi Juice,
un bar à jus absolument délicieux ! Jus de papaye, de mangue et
d'avocat, rien de tel pour se ravigorer ! Puis on a couronné le tout
par quelques samosas bien mérités.
Sans douche depuis trois jours, et après une journée de voyage sur la
route la plus poussiéreuse du monde, ça faisait du bien d'arriver !
Quel voyage !!